« C’est comme s’il n’avait jamais rien de bon à dire. »

Et pourtant, ce n’est pas un mauvais gars. Pas tant (n’en déplaise à la subjectivité). Par là, on entend le fait qu’il ne prend pas (tellement) plaisir à crisper son entourage professionnel subalterne. Simplement, on le dit avoir tendance à remarquer davantage les coquilles plutôt que les réussites. Probablement un truc qu’il a choppé de son garant. Hormis le fait d’être certainement un futur supérieur aussi lourd qu’étonnamment supportable, ce jeune homme est en fait vivable dès lors que l’on ne fait pas les choses de travers. Qui prend le temps de s’asseoir sur un banc pour discuter avec les personnes âgées. Mieux encore, de gentiment pisser sur le palier de ses anciens voisins en guise de cadeau d’adieu pour avoir été tout particulièrement « pénibles et sans respect ». Parce qu’on le sait tous bien, il faut rendre coup pour coup, même quand on ne dispose que d’un minimum de rancune comme lui. En bref. Ne pas lui prendre la tête, c’est s’assurer qu’il ne vous prenne pas la vôtre.

(je déconne, ça ne vous assure rien du tout, faites comme bon vous semble.)

Bien qu’ayant une garde-robe qui veille à répondre au moindre de ses besoins qu'ils soient improvisés ou non, il possède malgré tout un penchant pour le sportswear et qui plus est, teinté de rouge. Une couleur qu’il apprécie tout spécialement jusqu’au bout des ongles, dont il prend soin, comme il le fait avec le reste de ses accessoires. Aucun doute sur le fait qu’il estime ce qu’il est sans qu'il ne le crie sur tous les toits, quoique l’on veuille bien dire sur sa personne. Ce qui prime en premier, c'est l’avis qu’il se porte à lui-même. Corpulent et en bonne condition physique, il semblerait qu'il ait principalement pioché sa génétique du côté de son ascendance maternelle, au grand dam de cette dernière.

D’ordre général. Ça n’est pas trop mal.

Mais il faut garder en tête qu’entre le monde professionnel et le monde familial, il subsiste un fossé notable. D’ordinaire, on aurait tendance à lui préférer sa renommée professionnelle qui se résume en quelques mots « Modèle acariâtre ». Quoiqu’encore, en apprentissage, il y a belle lurette qu’il n’a plus à prouver ses qualités d’employé idéal, parce qu’il écoute, exécute et ne pipe mot devant ses employeurs. Il est clair que la hiérarchie est une affaire importante dans ses principes, la raison pour laquelle il se montre de temps à autre âpre avec ses cadets au moindre manque de respect. Car le respect, c’est important et pour le boulonner, les sentiments et les singeries n’ont pas leur place.

Mais dans l’univers familial, c’est l’archétype même du « fils étrange ». Qui avait tout pour réussir et a décidé de tout foirer du jour au lendemain. Ce type qui a du potentiel, mais n’en fait pas bon usage, ce qui a tendance à lui attirer entre pitié et regards fuyants des plus simplistes de la branche filiale. Sa stupidité intelligente comme on aime la qualifier en effraie plus d’un tout comme elle intrigue et parce qu’il ne donne que trop peu de nouvelles et d’information sur son parcours, pour éviter les intoxes du coin, on cherche à en trouver. N’est-ce pas là le signe de vénération cachée ? *rire*

-1987. Le jour où Ui, sa mère, lui avait demandé ce qu’il voulait faire plus tard, il avait répondu qu’il souhaitait mener une vie tranquille « sans galère, sans gosses et sans argent ». Parce que l’argent apportait la galère et la galère apportait les enfants. Un raisonnement qu’elle avait qualifié de « foireux » par le simple jet d’un regard enflammé qui lui apprendrait illico à se la fermer sur le long terme. Et depuis ce jour, il avait su garder son sarcasme, rester l’enfant modèle qu’il avait toujours été : aller à l’école, se faire moquer pour son poids et avoir des notes considérablement bonnes. La vie de rêve.

Et quand je dis de rêve, ça n’est pas ironique. Il le pensait vraiment. Après tout : il n’avait pas besoin de faire grand-chose. Encaisser, écouter, appliquer. Il n’y avait pas plus simple quand la révolte demandait bien plus de sacrifices et de temps perdu.

Et puis il y a eu ce jour où il s’était rendu au zoo avec Ui et Obaachan. Celui où il rencontra ce singe qui le fixait, derrière les barreaux de sa cage. Il n’avait pas su dire s’il l’implorait du regard ou s’il se demandait quelle était cette nouvelle sale gueule qui avait l’audace de le mater, mais il avait suffi d’un air à son encontre pour tout changer. Ça et le doux commentaire de sa grand-mère accompagné d’une tape au derrière de la tête : « Tu vois ça ? C’est toi si tu continues à ne faire qu’écouter. » La dame était visionnaire et surtout convaincante par sa piètre éloquence. Les jours qui avaient suivi, le gosse avait agi différemment : entre les refus courtois qui se multipliaient, à l’école, les baffes qui pleuvaient et la perte d’envie de devenir un jour ce que ses parents voulaient qu’il devienne, rien n’allait plus. Sauf peut-être ses notes scolaires (mais ça ne fait pas tout). Riposter, refuser, souffler. Le petit gars était devenu libre. Libre en détention scolaire.

Pour ses parents, il avait merdé. C’est l’une des raisons pour lesquelles il emménagea très rapidement chez sa grand-mère, à presque une heure d’Osaka, et même si elle s’en était plainte, elle n’avait pas eu son mot à dire. Après tout, n’était-elle pas la cause primaire de sa descente aux enfers jouissive ? Au final, la plaignante s’en était très vite remise. Entre cigarette partagée (contre le gré du petit) dégustation d’Umeshu et pêche à deux, la colocation ne s'en était pas trop mal tirée. Il avait appris à apprécier la pêche et les croulants du village avec qui il avait plus d’alchimie qu’avec son ex. Quant à elle, elle avait appris à aimer ne serait-ce qu’une chose de son gendre : sa graine.


Malgré cela, quelque chose manquait à l’appel. Pas ses parents dont il se fichait royalement depuis lors, mais une nouvelle source de contentement. C’est la raison pour laquelle l’obaa’ avait intimé l’ordre de se rendre en ville. Trouver sa voie et un taff au passage.

« — Et avec quel argent ? »

— Pas besoin d’argent quand on a de la famille ».

C’est ainsi qu’il avait emménagé chez sa cousine, celle dont il connaissait à peine le nom, mais ses exploits en termes d’Enjo kōsai avant-gardiste, c'était une autre affaire. Leur entente avait été suffisante pour qu’il daigne se tatouer une méduse dans le cou et développe au passage une envie de tatouer. Les mois plus tard, avec l’argent amassé, elle lui avait payé une formation pour qu’il se lance dans le tatouage et n’en avait pas été déçue : il était aussi doué sur le papier que sur la chair et c’est en un rien de temps qu’il eut son diplôme. Mais encore, il manquait autre chose, cette fois-ci sur le plan créatif. Un manque comblé lorsqu’il rencontra celui qu’il nomme à ce jour Sensei. Un hiroshi avancé qui avait charcuté mille et une peaux pour en faire des œuvres vivantes et conteuses. Il n’y connaissait rien si ce n’est son adoption par les yakuzas, mais voulut  y remédier . Après un entretien passé (et harcèlement « civil ») il avait fini par concéder à lui donner sa chance en lui prévenant tout de même qu’il allait se manger une bonne dose de théorie de sorte à tatouer dans les règles de l’art tout en comprenant dans quelle mouise sociétale, il se fourrait. Ça n’avait pas suffi à décourager le garçon qui s’était révélé bien plus précautionneux que lui-même n’aurait pu l’imaginer.

1987. Il étudie encore et tatoue à côté dans la boutique de son ami. Son goût pour l’irezumi n’est pas parti. Au contraire il s’était amplifié quand son insatisfaction s’en était presque envolée.