Il rentrait d'un entraînement de danse, et rien que ça était un mauvais karma – ça faisait toujours mal les entraînements de danse, les membres cassés moulus qui ne répondaient plus comme ils auraient dû. En outre quand il revenait de la danse, Sora était vêtu en général en jogging et ça le saoulait un peu il n'aimait pas ce genre de fringues.
Il était volontiers vaniteux et aimait être à son avantage. Là en jogging aux couleurs outrageusement fluo – un sponsor à la con, vraiment – il ne se sentait pas du tout à son avantage même si le garde du corps désigné n'en avait probablement rien à foutre de ce à quoi il ressemblait.

Dès que l'absurde grosse voiture noire glissa à côté de sa silhouette trop fine, il s'anima, et il entra alors qu'on lui ouvrait la portière, comme si ça lui aurait cassé les mains de le faire lui-même. Son délicat fessier prit contact avec la banquette arrière de la voiture, ses mèches de cheveux blond sale lui retombaient sur le nez comme elles faisaient toujours.
Quand le chauffeur demanda où ils allaient, il porta un regard incertain sur le garde du corps qu'on lui avait assigné. Fronça du nez.

« Chez moi... sauf si on a des ordres contraires ? … Monsieur saura sûrement. »

Il sourit un peu.

« Bonjour. Comment allez-vous ? Quels sont les ordres ? »

ça le faisait chier, de ne pas savoir à l'avance et de devoir s'en remettre à quelqu'un d'autre ; oh il n'avait rien contre le type lui-même, c'était l'idée qui le saoulait. En plus il était fatigué, et ça n'aidait pas à son humeur déjà variable de base.

Hiko n'avait pas soufflé mot en ouvrant la portière, pas plus qu'il n'en souffla en s'installant à l'arrière, de l'autre côté de la banquette en s'assurant d'y laisser un espace vide entre lui et la starlette aux fripes piquant les yeux. Il n'en dit rien. Se contenant d'un haussement de sourcil et d'un regard qui en disant bien plus long que tous les discours pompeux du monde.
Il jugeait Hiko, souvent. Très souvent. Ne pouvait plus s'en empêcher à ce stade, à se dire volontiers qu'en jugeant les autres, il oublierait qu'ils faisaient sûrement la même chose avec sa personne. Il avait finit par ne plus réellement se soucier de l'intention qu'il provoquait et de ce qu'il pouvait inspirer aux autres. Il y aura toujours quelqu'un pour vous détester, inutile pour lui de gaspiller son énergie à ce jeu là.

« - Bonsoir, Tanaka-san. Bien, et vous ? » Politesse pompeuse d'un hypocrite ayant appris avec le temps à dédaigner les starlettes, peu importe leur genre et leur milieu d'action. La dernière dont il avait eu la charge, actrice de films pour adultes s'imaginant être la nouvelle Yamaguchi Momoe et prête à s'envoler pour illuminer Hollywood avait, sur un coup de tête, décider qu'elle pouvait se protéger seule et l'avait remercier.
On ne remercie pas quelqu'un que l'on met à votre service et qui vous place sous la protection d'un clan aussi tentaculaire que redoutable. Il espérait, pour le bien de la petite tête blonde à ses côtés qu'il n'aurait pas des idées aussi stupides.

« - Aucune contradiction, vous pouvez y aller. » Le moteur de la voiture émis un ronronnement bruyant et se mit en route. Hiko plia un bras sur son torse pour y déposer son autre coude et appuyer délicatement de son index et majeur contre sa tempe.
Un appel au silence et au calme, que Sora, bien souvent, ignorait royalement.

« Fatigué. Courbaturé aussi », il soupira un peu théâtralement. « Les répétitions de danse me tuent à chaque fois. »

Sora était champion du monde pour ce qui était de se plaindre ; si on l'écoutait y avait jamais rien qui allait. Il n'était pas très fort pour se satisfaire des petits bonheurs de la vie, bien plus disposé à trouver tout ce qui n'allait pas, à la place. Et le principal souci d'être son garde du corps, c'était que Sora ne parvenait pas à se plaindre dans sa tête...

Il posa son regard particulier sur le type, qui était assis dans cette voiture aussi posément que s'il la possédait – il s'était souvent demandé d'où sortait ce garde du corps à l'assurance tranquille... pour le moment, il n'avait pas osé poser la question à voix haute. Il avait un petit peu d'éducation, quand même.
En regard, lui-même était assis avec la fébrilité d'un moineau prêt à s'envoler au moindre coup de vent.
Il voyait bien dans l'attitude de Takehiko qu'il n'avait pas envie de parler. Mais lui, il s'ennuyait. Bon certes son travail n'était pas de le divertir... Enfin pas volontairement en tout cas.

« Vous en pensez quoi ? » fit-il en désignant son survêtement coloré. « Je trouve que ça jure avec mes yeux, non ? »

Hiko fit ce qu'il faisait de mieux : il soupira, puis haussa un sourcil tout en tournant la tête en direction de la voix qui venait de le sortir de ses pensées et de l'ordre de silence qu'il avait, silencieusement, imposé. Foutue starlette incapable de se taire, c'est pour cette raison qu'il ne les aimait pas, les célébrités. Qu’elles soient en devenir ou déjà bien implantées. Leur manière de fonctionner défiait sa logique et n'avaient, de fait, aucun sens à ses yeux.
Donc, il prit le temps d'analyser le jeune homme. Du bout de ses chaussures jusqu'au col de son jogging au coloris défiant le sens de l'esthétisme et le bon goût lui-même.

« - Impeccable, il vous sied au teint. » D'une neutralité de bonhomme récitant un texte déjà prémâché, Hiko se fendit d'un léger sourire tout aussi hypocrite que sa remarque.

« - Si, d'aventure vous me attendez mon avis honnête et sincère, sachez que ces couleurs sont une injure à l'ordre du bon goût et à toutes les personnes, passées et futures qui œuvrent pour que la beauté existe en ce monde. Quant à savoir si cela jure avec vos yeux ou non, vous êtes dans le vrai, c’est grossier. Mais à la décharge de l'imbécile heureux qui a eu l'idée d'un tel assemblage colorimétrique, il est assez difficile de trouver ce qui peut s'accorder avec vos yeux au vu de leur singularité. » Un compliment se trouvait masqué dans la tirade que le chauffeur, dans son rétroviseur, accueillit d'un regard, un en direction de Sora, deux vers Hiko qui reprit, tranquillement, son analyse du monde extérieur défilant au rythme du véhicule.

Sora prit un air suspicieux à la réponse de son garde du corps, prononcée en plus sur un ton onctueux et avec une neutralité d'expression pour le moins impressionnante. Il avait légèrement l'impression que le type se foutait de sa gueule, mais il ne voyait pas comment lui faire remarquer sans être rude voire irrespectueux ; et c'était pas vraiment quelque chose qu'on lui permettait de faire.
Il ouvrit la bouche pour quand même dire que ça lui paraissait exagéré, mais Takehiko le coupa avant même qu'il n'ait eu le temps de parler, pour corriger le compliment exagéré, lui faisant hausser les sourcils avec surprise.
Il observa un petit temps de silence qui passa et éclata d'un rire clair et argentin que les fans de son groupe connaissaient bien.

« Une injure à l'ordre du bon goût et à toutes les personnes, passées et futures qui œuvrent pour que la beauté existe en ce monde, comme c'est bien dit ! »

Il se pencha pour voir si le chauffeur riait, mais le chauffeur faisait son travail et était concentré sur la route et la circulation ; pfff. Le problème ici c'était que y avait que lui qui avait un sens de l'humour valable ! …

« Vous avez entendu ? »

Pas de réponse. Pff. Il se rassit correctement, adressa un sourire délicieux au garde du corps.

« C'était très drôle ; et ah – oui mes yeux sont difficiles à louper. Je ne sais pas si je dois le prendre comme un compliment ou pas... »

Il fronça du nez, dans une mimique charmante.

« Je vais décider que si. »

Sora était une de ces personnes que beaucoup trouvait adorable. Quand on prenait le temps de s'attarder sur tous ces petits paramètres faisant monter la jauge, il était clair que oui, il avait tout ce qu'il fallait pour être adoré et en abusait, comme le faisaient tous ceux de ce genre là.
Takehiko, de par son éducation et son caractère, n'avait jamais pris le temps d'apprécier ces adorables tout comme il n'avait jamais réellement compris comment on pouvait se retrouver à trépigner pour des êtres que l'on ne connaissait que d'une manière affreusement superficielle et qui, bien souvent, ne faisait que cacher d'autres couches de superficialité. Tout ça rendant le monde presque aussi superficiel que, eh bien le monde dans lequel l'idol évoluait.
Alors parfois, comme maintenant, Hiko regrettait son temps passé dans les bas fond de l'industrie du sexe. N'allons pas croire, le superficiel existe aussi, mais il est plus difficile à cacher.

Il se remit à regarder au-dehors, légèrement troublé par cette mimique aussi charmante qu'irritante, les sourcils froncés d'un air concentré occupé à décortiquer le pourquoi de cette sensation déroutante venue s'enrouler au fond de sa poitrine.
La berline ralentie, naturellement, le trafic à cette heure est plus dense. Elle décéléra encore un peu plus, jusqu'à ce que le cliquetis agaçant du clignotant ne résonne dans l'habitacle.

« - Il y a un attroupement devant notre destination, monsieur. » Traduction : danger en approche. Hiko lança un regard en coin à Sora et sa tenue tellement discrète, soupira puis se pencha légèrement dans sa direction afin d'avoir un visuel sur le dit attroupement.
« - Ne prenons pas de risque, vous connaissez l'adresse. » Sur un hochement de tête, le conducteur débrailla la berline qui bifurqua discrètement afin de rejoindre le reste de la circulation, sous le nez des fans qui passeront la soirée à attendre, et qui, à en juger par la masse de nuages en approche, se prendront une belle averse sur le nez.

« - J'espère que vous avez un change dans vos affaires, mes yeux ont vus bien des choses mais je dois bien avouer qu'ils risquent de ne pas supporter une telle débauche de couleur toute une soirée. » L'esquisse d'un sourire aux lèvres, Hiko se laissa glisser sur la banquette comme si le fait d'avoir changé de destination venait de retirer un poids de ses épaules.

« - Nous allons chez moi. Vos lieux de fréquentations habituels sont, pour la plupart, connus de ce genre d'individus, vous comme moi n'avons pas besoin d'un drame ce soir. »

Comme plutôt souvent, son garde du corps l'ignora. Sora ne savait absolument pas si c'était parce qu'il ne savait pas quoi lui répondre, ou si c'était tout simplement parce qu'il le gonflait, les deux cas étaient bien possibles.
Il l'observa par en-dessous tout en cherchant la manière de reprendre la conversation (on ne devenait pas idol en ayant un caractère introverti et en aimant le silence), et n'avait toujours pas trouvé quand la voix du chauffeur ( !!! cet homme savait parler !) s'éleva dans l'habitacle de la berline. Il fronça légèrement des sourcils : ce genre de désagréments arrivait de plus en plus souvent et c'était pour ça d'ailleurs que maintenant il avait un garde du corps partout avec lui, tout le temps ou presque.

« Hein ? » fit-il avec un air d'oiseau perdu, essayant de reconnaître le parfum que portait son garde du corps, un peu penché dans sa direction. « Bah non ! … je pensais rentrer chez moi », soupira-t-il en passant la main dans ses cheveux. « Au pire si vraiment c'est insupportable je vous emprunterai un sweat ou j'sais pas. »

Il sourit avec un rien d'insolence, ne récolta aucune réaction de la part du chauffeur (Sora commençait à penser que ce type était pourvu de la terrible faculté de ne pas l'entendre), se démancha le cou pour regarder l'attroupement de fans effectivement agglutinés devant l'entrée de sa demeure.

« ça commence à devenir inquiétant... J'aimerais bien que l'agence fasse quelque chose mais j'ai presque l'impression que ça les arrange », soupira-t-il. Après tout, obligés de suivre leurs gardes du corps pour leur propre bien, les membres du groupe étaient encore plus faciles à contrôler. « Je vais dormir où ? »

Dans le rétroviseur, le chauffeur donna un regard aux sourcils levés en direction des deux hommes installés à l'arrière. « - La baignoire de mon appartement me semble être une option de choix. » Touche d'humour piquante d'un Hiko tournant la tête en direction d'un Sora, un peu trop proche à son goût. Il aurait pu s'éloigner si seulement la portière ne lui bloquait pas cette possibilité.
Toute distance physique mise entre eux aurait pu faire taire les alarmes hurlant dans son crâne mais n'aurait certainement pas pu atténuer ce trouble étrange qu'il ressentit quand son regard croisa celui, diablement singulier, de son insupportable protégé.

« - Je n'ai nullement la prétention de savoir ce qui peut se passer dans la tête de vos supérieurs, mais il est évident que ça les arrange. » Hiko reposa son attention sur l'extérieur au moment où la berline bifurquait à l'angle d'une des rues précédant la sienne.
« - Bien que dangereuses, ce genre de manifestations peut être considérée comme la jauge de votre célébrité. Plus il y a de foule, plus vous êtes populaire et de fait, rentable. » Le véhicule passa tranquillement devant un petit restaurant de ramens puis entama sa décélération.

« - On m’emploie pour vous protéger quand la situation devient trop inquiétante, faites ce pour quoi on vous paie, c'est au fond la seule à laquelle vous avez à penser. » Sur ce qui ressemble à une réplique cinglante de méchanceté gratuite – c'est tout simplement son mode de fonctionnement –,  Hiko  ouvrit sa portière et quitta la berline stationnée en bas d'un petit immeuble sans prétention.

Il ne s'occupa pas d'ouvrir la portière à la starlette pas plus que le chauffeur qui lui jeta un regard par-dessus son épaule laissant entendre qu'il attendait son bon vouloir pour redémarrer et filer vers d'autres horizons.
L'appartement de Takehiko n'avait rien d'extravagant, ressemblait au contraire très fortement à l'homme qui l'occupait dans sa simplicité presque spartiate où tout semblait posé là d'une manière millimétrée.
Au fond de l'unique pièce, un escalier traçait la route en angle droit vers la partie nuit de l'habitation.

« - La chambre et la salle de bain sont là haut, faites à votre aise. » Hiko se retourna, avec la brusquerie de ceux habitués à vivre seuls, le bras tendu contre le flanc de l'idol soudain trop proche et l’obligeant à baisser les yeux. Il n'avait remarqué, qu'il était plus petit. « - Mes hoodies sont là... »

Sora leva ses sourcils bien dessinés, le regard inquisiteur, et se redressa brusquement avec ce qui paraissait être de la surprise dans le geste, libérant ainsi l'espace vital de son garde du corps. Le fait qu'il parvienne parfaitement à ignorer l'aura de danger qui émanait de cet homme (probablement armé, en plus mais Sora s'était bien gardé de poser la question) était une preuve soit d'inconscience, soit d'une petite cervelle.

« La baignoire ?! »

La façon dont il s'était écrié pouvait appartenir aux deux. Le chauffeur retint un soupir parce que c'était vraiment pas le moment de crier et faire des mouvements brusques vu la tension que l'attroupement de fans avait causé. Le chanteur l'ignora parfaitement, avec obstination.

« Hmm, vous avez sans doute raison. Je n'aime pas leur manière de nous laisser dans la peur », grommela-t-il, admettant facilement être un peu impressionné. C'est qu'il n'avait pas l'habitude, encore, de se trimballer à tout bout de champ avec un garde du corps. Surtout un type aussi inexpressif que celui qu'on lui avait collé – les autres membres du groupe avaient l'air de penser que leurs gardes du corps étaient un genre de pote musclé, le style accro à la gym, mais Sora était à deux doigts de penser que le sien ne l'aimait pas.
Il avait cette façon de le regarder des fois, de haut (bon vu leur différence de taille, ça, il avait pas trop le choix)...

Il fronça du nez, déconcerté parce qu'il comprenait comme un « sois beau et ferme-la », et ne retint pas un soupir, détournant le regard vers l'extérieur.
Il renvoya au chauffeur malpoli un regard furibond, émit un « tchh » agacé et pas très poli, et sortit de la voiture à la suite de son garde du corps – la frustration laissa rapidement la place à la curiosité, il brûlait de savoir à quoi ressemblait l'intérieur de la demeure de son garde du corps.
Et s'il espérait en apprendre plus sur le gars...
Il fut un peu déçu.
Il avait l'impression que l'unique possession personnelle qu'il avait était sa brosse à dents dans la salle de bain. Et la quasi certitude que s'il dérangeait un truc, Takehiko le verrait immédiatement et le disputerait. Perdu dans ses pensées, il ne s'arrêta pas quand le garde du corps le fit (pourtant en tant que danseur en groupe c'était quelque chose qu'il maîtrisait habituellement) et se trouva trop près, levant le nez.

« Oh. Pardon », tellement saisi par la soudaine proximité qu'il s'en excusait, il tendit la main pour attraper le premier vêtement qui lui tombait sous la main, d'une couleur facilement plus neutre que l'ensemble qu'il portait, criard au possible. « Je vais me doucher et me changer. »

Il n'aimait pas trop la manière dont ça ressemblait à une fuite, mais le moyen de faire autrement ? Il s'esquiva d'un geste fluide de danseur, contournant le bras tendu de Takehiko, conscient de son regard sur lui. Il s'arrêta à mi-chemin des escaliers, se disant qu'il ne devrait pas fureter, mais il fallait bien s'assurer qu'il y avait une autre chambre et non pas seulement un lit et la baignoire, non ? ...
Il jeta un regard par-dessus son épaule, n'entendit rien, serra le hoodie contre lui et partit en exploration.

Avec le temps, il y avait des choses que l'on savait reconnaître plus facilement que d'autres. Non pas parce que l'on était devenu plus à même de les comprendre, mais simplement parce qu'on les avait suffisamment côtoyer pour parvenir à les appréhender sans trop de mal.
Et si Hiko manquait de plusieurs choses dans sa psychologie, notamment d'une tolérance à l'égard de ses congénères humains, la lecture des autres et les marques de faiblesses lui étaient faciles à repérer. Et l'idol venait de faire  preuve d'un élan de faiblesse parfaitement humain qui se camouflait bien volontiers par quelque chose d'affreusement simple : la fuite.

Le garde du corps n'en dit mot, le laissa filer pour retourner lui-même au fil de sa vie classique. Comprendre se changer pour enfiler quelque chose de plus détendu, à l'image de ce hoodie partit avec la tête blonde à l'étage. Il mit à chauffer la bouilloire sur la gazinière qui se mit à ronronner avec la force d'un chat se prenant pour un vieux moteur, sortit deux tasses qu'il disposa sans trop savoir pourquoi sur la petite table basse tout en poussant du pied un coussin supplémentaire en face du sien.

La chaudière avait pour habitude de faire un bruit de fin du monde lorsque d'aventure quelqu'un tirait sur l’eau à l'étage. Elle n'en fit rien et Hiko se surprit, non pas à froncer les sourcils, mais à fermer les yeux tout en laissant filer un soupir aussi discret qu'il était presque doux.
Avec la discrétion incombant à sa profession, il monta les marches trouvant le petit couloir vide. Tourna la tête vers la salle de bain vraisemblablement vide. De l'autre côté, la chambre où il y aperçut le poussin radioactif.

« - Les couleurs de votre accoutrement ont eu raison de votre vision ? La salle de bain est de ce côté. » Il désigna d'un bref mouvement de main la direction à prendre tout en s'appuyant nonchalamment contre le chambranle de la porte.
« - Vous avez besoin d'aide peut-être ? Je peux me proposer pour vous frotter le dos si vous estimez cela nécessaire. » L'esquisse de ce qui ressemblait à un sourire vint se glisser sur ses lèvres, allant jusqu'à pétiller sur l'écran de ses yeux en petites étoiles discrètes d'un ciel de début de nuit.
En bas, la bouilloire commença son chant.

« - Avez-vous trouver votre bonheur ? Vous savez, Sora-san, si vous cherchez du compromettant à mon sujet ou une quelconque autre information, demandez, peut-être que je trouverais opportun de vous répondre. » Les idols, d'un certain point de vue – celui d'Hiko surtout – se trouvaient être assez proches des acteurs de films à diffusion discrète : ils avaient ce besoin presque instinctif de mettre leur nez partout, vraiment partout. Et de se nourrir des secrets des autres pour oublier la saleté de leur propre existence.

Il savait très bien qu'il n'était pas censé fouiner, et ce, même s'il tentait de se persuader que puisque parce qu'il ne touchait rien ça n'était pas si grave. Pour éviter les tentations, il avait les deux mains serrées sur le hoodie plié plaqué à sa poitrine, et il regardait avec beaucoup d'attention autour de lui. La chambre confirmait le reste de l'appartement, son garde du corps n'était certainement pas décorateur d'intérieur...
Ou alors le genre qui décorait les hôtels impersonnels aux tons toujours super neutres. La seule chose colorée ici, c'était Sora lui-même.
Bon certes, beaucoup trop colorée pour le coup, mais c'était déjà un peu plus joyeux que le reste !
Il ne sut absolument pas comment un type comme Takehiko s'y prenait pour se déplacer dans le plus parfait silence (normalement c'était lui qui faisait ça, il avait hérité cette particularité de ses ascendants kage-onna) mais toujours était-il que quand il prit la parole, dans son dos, il eut un sursaut violent et même un glapissement ridicule.

« C'était ce que j'étais en train de me dire oui », tenta-t-il de se rattraper avec de l'humour. Malheureusement pour lui, il ne pouvait pas s'esquiver, le garde du corps appuyé contre le chambranle de la porte lui bloquait le passage.
C'est fou comme l'envie de fouiner lui était passée d'un coup tiens ! … Il pinça les lèvres, ennuyé : « ça devrait aller merci beaucoup. »

Son regard rose et violet se détourna du visage de Takehiko pour dériver sur les meubles spartiates de la chambre.

« Je n'ai touché à rien », informa-t-il, les mains toujours plaquées au hoodie soigneusement plié. « J'étais – simplement curieux. Vu votre goût en décoration qui... » Il chercha comment dire ça sans être vexant, ses yeux roulant dans leur orbite pour fixer le plafond en recherche d'inspiration, « disons qu'un bunker serait plus causant – je ne crois pas que vous répondriez, non. »

Il sourit.

« Je me trompe ? »

En silence, le garde du corps reste immobile contre l'encadrement, scrute de son regard perçant l'idol et ses pirouettes visant à se rattraper. Ils savent se rattraper, on les paie pour ça. Penchant légèrement la tête sur le côté, Hiko se demande combien. Combien on dépose sur ces jeune gens attrapés au sortir d'un nid encore chaud pour les formater jusqu'à, bien souvent, la cassure.
Sora n'a pas l'air cassé, mais son expérience lui a appris que les plus abîmés sont ceux qui savent le mieux le cacher. Preuve en est, il fait lui-même partie de cette catégorie.

« - J'accorde très peu d'importance au matériel, si cela peut répondre à vos interrogations concernant mon style décoratif. » Une épaule se hausse et glisse contre le bois quelque peut fatigué. Un meuble ça se remplace quand il est fatigué, c'est pratique au delà d'être esthétique.
Hiko est un meuble pratique, rien de plus.

« - Tout dépend de la question... » Il lui rend son sourire. Sur un silence faisant presque état de grâce, où même une mouche qui essayerait de péter en discrétion se ferait entendre malgré la bouilloire sifflant en bas. C'est peut-être la première véritable fois où ils se regardent, tous les deux, en même temps, aussi longtemps.

« - Je nous prépare du thé. Réfléchissez à ce que vous pourriez me demander. » D'un mouvement presque délicat du menton, Hiko désigne la salle de bain par-dessus son épaule qui lâche le chambranle, effaçant l'obstacle de sa présence pour laisser le champ libre à Sora.

Et c'était bien ce qui posait question à Sora – volontiers frivole, un peu matérialiste, ce que son métier n'avait pas arrangé, c'était pas un comportement qu'il s'expliquait facilement, ce dépouillement de tout. Il soutint le regard de son garde du corps, avec une expression sérieuse, un peu en attente peut-être.
La tension se relâcha subrepticement alors que Takehiko se redressait du chambranle et, comme si le chanteur avait oublié ce qu'il était censé faire, désigna d'un geste de la tête la salle de bain à l'opposé de la chambre. Sora retint un soupir soulagé, ne voulant pas montrer de signe de faiblesse, et fila rapidement.

Il profita de sa douche pour essayer de se calmer, ayant mis l'eau trop chaud comme d'habitude – les membres du groupe prétendaient que c'était pour se rappeler les enfers dont il provenait, tss –, et pour se laver les cheveux aussi.
Un peu rasséréné et terminant d'essorer ses cheveux ébouriffés, il descendit les escaliers pour rallier le rez-de-chaussée et le thé promis. Il avait effectivement enfilé le hoodie prêté par son garde du corps, trop grand évidemment pour lui.

« Je me suis rendu compte que je vous ai pas remercié pour l'hospitalité – j'imagine que vous êtes pas obligé par contrat. »

Il prit place, à genoux, à côté de la table basse, dans une attitude modeste et polie, pour une fois.

« Alors merci beaucoup. »

Toute cette situation n'était pas vraiment du fait de l'un ou l'autre, et Sora avait décidé, dans le temps qu'avait duré sa douche, qu'il valait mieux la subir avec le plus de grâce possible.

« Je m'excuse pour avoir tenté de fouiller – en fait je cherchais à savoir s'il y avait une autre chambre. »

Il se redressa un peu, balayant la table du regard.

« A quoi est le thé ? »

Une fois seul à l'étage inférieur, Hiko échange ses vêtements de ville contre un survêtement ample d'un violine profond, outrepassant sa propre règle de l'ordre en poussant du pied ses affaires dans la bouche béante du placard qu'il referme sur le murmure d'un souffle discret.
Le bruit de l'eau ronronnant dans les canalisations lui signale que son petit invité n'a pas continuer son entreprise de visite non guidée et quelque peu non désirée. L'esprit plus serein, Hiko entreprend alors de préparer le thé, versant l'eau chaude au fond d'une théière en céramique où il y ajoute des feuilles à infuser. Dépose ensuite sur une petite assiette deux melonpan. Le tout termine sur la table basse, unique meuble trônant au centre de la petite pièce à vivre entourée de coussins.

Il est déjà agenouillé lorsque la star du soir fait son entrée. Levant les yeux vers cette étrange créature aux cheveux en désordre, Hiko lève un sourcil. « - Bien que trop grande, il vous va mieux que votre ensemble destructeur de rétines. » Le remerciement semble posé un temps mort. Une pause inattendue durant laquelle Takehiko fixe, longuement, le jeune homme assis face à lui.

« - L'eau était trop chaude ? Souffrez-vous d’hyperthermie ? » Ses lèvres se pincent sur ce qui ressemble à une tentative de retenir un éclat de rire. Moqueur, il se penche pour se saisir de la théière.
« - Hojicha, je me suis dit qu'un thé calme serait bienvenue vue l'heure. Les melonpan sont pour vous, je vous en prie. » Politesse quand tu nous tiens. Il sert les tasses, en pose une devant Sora puis se réinstalle avec la sienne entre ses mains.

« - Rien ne m'oblige à vous accueillir chez moi en effet. Je le fais pour ma tranquillité d'esprit, il m'est plus agréable de vous savoir ici, en sécurité, que là-bas. Et entre nous, je préfère mon appartement à votre dortoir et ses couloirs. » Casanier tranquille souffle sur son thé. « - Il n'y a pas d'autre chambre, je vous la laisse. Il y a un futon dans le placard, je dormirai ici. » Par-dessous ses cils, Hiko lève les yeux pour les déposer, presque délicatement, contre ceux de Sora.
« - Si vous avez besoin d'un doudou pour dormir, je suis navré mais je n'ai pas ça ici. » L'intensité avec laquelle il le regarde jure avec la moquerie légère de ses mots. Un éclat de rire soupiré se noie au fond d'une gorgée de thé.

Comme le garde du corps n'avait pas l'air franchement moqueur, Sora eut le réflexe de faire un léger sourire à son commentaire sur la manière dont son hoodie trop grand l'habillait.

« Je trouve aussi que ça va mieux avec la couleur de mes yeux », admit-il d'un ton calme, manifestement un peu fatigué et pas vraiment dans son élément. Habituellement, il vivait avec les membres de son groupe, avec qui l'entente était très différente selon qui était concerné. Il y avait plus de vie, beaucoup, beaucoup plus de bruit.
Là Sora avait l'impression (et elle était justifiée) d'être l'élément le plus bruyant alors même qu'il essayait de faire gaffe. De toute manière il n'avait jamais compris comment son garde du corps faisait pour faire aussi peu de bruit en se déplaçant avec la taille et la corpulence qu'il avait.
Lui-même se savait discret, mais il tenait ça de son sang et de sa formation de danseur, c'était différent.
Il fronça un peu des sourcils à la moquerie – cette fois-ci c'en était – de Takehiko.

« Eh – j'ai une certaine éducation. »

On aurait pas dit là comme ça avec le hoodie trop grand et ses cheveux ébouriffés et mouillés, mais ses parents avaient fait ce qu'ils avaient pu ! … Il posa son regard particulier sur les melonpan, décida que c'était une offrande à la hauteur de sa superbe personne, et proposa quand même :

« Vous n'en voulez pas un ? Merci c'est gentil. »

Il n'avait pas besoin de se réchauffer les doigts vu la température de la douche qu'il avait pris, mais il mit quand même les mains en coupe autour de sa tasse ne serait-ce que pour se donner une contenance.

« Ah, c'est sûr que ça fait vachement plus de bruit dans les dortoirs. Je me demande si les autres sont rentrés. Je devrais probablement les prévenir si j'arrive à les joindre... Quoique je suis pas sûr qu'ils me cherchent avec beaucoup d'ardeur dès ce soir. »

En fait l'absence de Sora les reposerait sans doute un peu – là il était calme parce qu'il était seul avec son garde du corps, qui restait quelqu'un de relativement impressionnant, mais quand il était dans les dortoirs avec eux c'était une autre paire de manches. Il fronça du nez à la deuxième moquerie de Takehiko, plissa les yeux en soutenant son regard :

« Une chemise peut faire l'affaire de doudou si on est pas difficile », persifla-t-il.